In « Vendetta » Roman, de R.J.Ellory
Extraits de la confession au FBI d’Ernesto Perez après la disparition d’Eleanore Duncan.
« J’avais déjà entendu le nom de Jimmy Hoffa, mais
j’ignorais quelle était son importance dans le milieu. Tony Pro a éclaté de
rire.
« Hé, Fabio, où tu as dégoté ce gamin ? Tu as été
le chercher dans une ferme ? »
Calligaris s’est esclaffé à son tour et s’est tourné vers
moi. « Tu as déjà entendu parler des Teamsters ? » J’ai fait
signe que non.
« Une sorte d’organisation de travailleurs... un
syndicat pour les routiers et les ouvriers et tout ça. Bordel, j’ai entendu
dire que les Teamsters avaient même un syndicat pour les prostituées et les
strip-teaseuses.
— Sans déconner ? s’est exclamé Tony Pro. Bon Dieu,
ce que les temps changent !
— Enfin, bref, a poursuivi Calligaris. Les Teamsters, la
fraternité internationale des Teamsters, c’est une putain d’organisation énorme
qui gère les syndicats et les fonds de pension et toutes sortes de
trucs. » Il s’est tourné sur sa gauche. « Hé, Matteo, toi qui as
beaucoup bossé là-dessus, qu’est-ce qu’on dit des Teamsters ? »
Matteo Rossi s’est éclairci la voix.
« On dit qu’ils organisent les désorganisés, qu’ils font
entendre la voix des travailleurs dans les allées du pouvoir, qu’ils négocient
les contrats qui transforment le rêve américain en réalité pour des millions de
gens, qu’ils protègent la santé et la sécurité des travailleurs et qu’ils
luttent pour conserver les emplois en Amérique du Nord. »
Une vague d’applaudissements a parcouru l’assistance.
« Il me semble, a déclaré Tony Pro, que quelqu’un
devrait s’occuper de la santé et de la putain de sécurité de Jimmy
Hoffa. »
Il était
encore question du syndicat des routiers et de ce Hoffa dont j’avais entendu
parler bien des mois auparavant au Blue Flame.
« Faut qu’il parte, faut qu’il dégage, a déclaré Don
Calligaris. C’est une petite merde, un rien du tout, un enfoiré arrogant. Juste
sous prétexte qu’il était le président du syndicat, il croit que tout le pays
lui appartient. Ils l’ont envoyé en taule pour cette histoire de corruption de
juré et de fraude, mais ce trou du cul de Nixon l’a gracié et il revient nous
emmerder comme un putain de cancer. Bon sang, pourquoi il nous fout pas la
paix ? On s’en sort très bien avec Frank Fitzsimmons, merde, c’est un ange
comparé à Hoffa. Mais non, Hoffa doit foutre son nez là où on veut pas de lui,
et il arrête pas de casser les couilles à tout le monde. Faut s’occuper de ce
connard... faut qu’il dégage une bonne fois pour toutes. »
En juillet 1975, il y a eu des réunions, de longues réunions.
J’ai vu des gens aller et venir à la maison, et chez Don Calligaris
aussi – des gens comme Tony Provenzano et Anthony Giacalone. J’ai
appris que Tony Pro était pour le moment vice-président du syndicat des
routiers et, chaque fois qu’il parlait de Jimmy Hoffa, on aurait dit qu’il
parlait d’une chose dans laquelle il aurait marché sur le trottoir.
« Quand on demande à Frank de fermer les yeux, il fait
comme s’il n’avait rien vu, et c’est exactement ce qu’on attend de lui, disait
Tony Pro. Nixon a dit à Hoffa de ne pas se mêler des syndicats pendant dix ans,
ça faisait partie du marché pour sa grâce. Maintenant, il revient et on a les
fédés sur le dos comme pas possible. Ce type... bon Dieu, on arrête pas de lui
répéter de rester hors des affaires, mais il est tellement sourdingue que c’est
à croire qu’il a pas d’oreilles. »
Le 28 juillet, un lundi, Don Calligaris nous a convoqués Dix
Cents et moi. Quand je suis arrivé, la maison de Mulberry était bondée. Il y
avait des gens que je connaissais, d’autres que je n’avais jamais vus. Aucun
nom n’a été prononcé, mais Dix Cents m’a dit plus tard que le type assis à côté
de Joe Giacalone était Charles « Chuckie » O’Brien, un ami très
proche de Jimmy Hoffa, quelqu’un que Hoffa appelait son « fils
adoptif ».
« Nous allons descendre cet enfoiré, a déclaré Joe
Giacalone. Il y a eu un vote et ce putain de raté est un homme mort. Nous en
avons tous marre qu’il nous casse les couilles. »
Une réunion devait se tenir dans le Michigan, dans un
restaurant appelé le Machus Red Fox, à Bloomfield Township. Hoffa retrouverait
Tony Provenzano, Tony Giacalone et un leader syndical de Détroit pour discuter
de son intention de briguer la présidence du syndicat. Hoffa voulait savoir si
les poids lourds le soutiendraient s’il se présentait contre Frank Fitzsimmons.
Tony Pro et Tony Jacks n’arriveraient jamais.
Tony Jacks irait comme à son habitude faire sa gym au Southfield Athletic Club,
et Tony Pro serait à Hoboken, dans le New Jersey, occupé à visiter les bureaux
locaux du syndicat. Il ferait en sorte de serrer beaucoup de mains et de parler
à beaucoup de gens pour que l’on n’oublie pas qu’il était là. Le leader
syndical serait retardé et arriverait au Machus Red Fox après 15 heures. Joe
Giacalone avait une Mercury bordeaux qu’il prêterait à Chuckie O’Brien. Chuckie
arriverait au restaurant et informerait Hoffa que le lieu du rendez-vous avait
changé. Hoffa ferait confiance à Chuckie sans hésitation. Il grimperait dans la
voiture et laisserait sa propre Pontiac Grand Ville sur le parking du Machus
Red Fox. Et il ne sortirait jamais vivant de la Mercury.
[...]
« Donc, c’est pour mercredi, a annoncé Tony Jacks. À
partir de maintenant, le nom de code, c’est Gémeaux. C’est tout, juste un mot.
Je ne veux entendre ni noms, ni dates, ni lieux. Je veux juste entendre un mot
quand vous ferez allusion à cette affaire, et ce mot, c’est Gémeaux.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? a demandé Tony Pro.
— C’est un putain de signe du zodiaque, espèce d’abruti.
Un putain de signe zodiacal, un truc dans les étoiles, et il y a une image avec
un type à deux têtes ou un truc à la con de ce genre. C’est juste un putain de
mot, OK ?
— Alors, pourquoi celui-là ? a insisté Tony Pro.
— Parce que c’est ce que j’ai décidé, a répliqué Tony
Jacks. Et parce que Jimmy Hoffa est un putain d’hypocrite à deux visages et il
va les perdre tous les deux mercredi. »
Je me suis donc rendu dans le Michigan et j’ai rencontré
Jimmy Hoffa par un mercredi après-midi chaud à Bloomfield Township. C’était un
type costaud. Grosses mains. Grosse voix. Mais il était nerveux. Je crois qu’il
savait qu’il allait mourir. Il est monté dans la Mercury quand Chuckie O’Brien
s’est pointé au Machus Red Fox, et j’avais beau être assis à l’arrière, il ne
m’a pas demandé qui j’étais. Il parlait trop vite, demandait pourquoi le lieu
du rendez-vous avait été changé, si Provenzano et Giacalone étaient déjà là, si
Chuckie savait s’ils soutiendraient ou non sa candidature à la présidence du
syndicat.
Il s’est beaucoup débattu quand je lui ai passé le fil de fer
autour du cou depuis la banquette arrière. Il s’est débattu comme Don Ceriano,
mais je n’ai rien éprouvé. Chuckie a dû lui maintenir les mains sur les
cuisses, ce qui n’a pas été chose facile vu que ce n’était pas un poids plume.
Jimmy Hoffa a chèrement vendu sa peau, il a résisté jusqu’au bout, et il y a eu
un sacré paquet de sang. Mais c’était juste une question de business cette
fois, et il y avait très peu de choses à en dire. Il avait foutu mes employeurs
sérieusement en rogne, un point c’est tout. Il avait peut-être été le président
du syndicat des routiers, mais l’expression de son regard dans le rétroviseur,
l’expression que j’ai vue quand il a rendu son dernier souffle, a été la même
que pour tous les autres. Qu’il s’agisse du pape ou d’un leader syndical ou du
Christ ressuscité, quand ils voyaient s’éteindre la lumière derrière leurs
yeux, ils avaient tous l’air d’instituteurs effrayés.
Je me disais que ça m’arriverait peut-être aussi un jour,
mais bon, je verrais bien le moment venu.
Un peu plus de vingt minutes plus tard, je descendais de
voiture avec une corde de piano ensanglantée dans ma poche tandis que Jimmy
Hoffa, 62 ans, était emmené vers le sud jusqu’à une usine de traitement des
graisses où il serait transformé en savon. J’ai regagné le Red Fox à pied, puis
j’ai pris un bus jusqu’à Bloomfield. De là, j’ai pris un autre bus jusqu’à la
gare. J’ai été de retour à Manhattan le jeudi 31 juillet. Treize jours plus
tard, c’était mon trente-septième anniversaire. Don Fabio Calligaris et Tony
Provenzano ont organisé une fête en mon honneur au Blue Flame, une fête que je
n’oublierai jamais. »
Extraits de la confession au FBI d’Ernesto Perez après la
disparition d’Eleanore Duncan.
[...]
Lorsque Hartmann fut escorté à travers la ville depuis les
locaux du FBI jusqu’au Royal Sonesta – un convoi de trois voitures,
lui-même ayant pris place dans le véhicule du milieu avec Woodroffe, Schaeffer
et Sheldon Ross –, il avait plus l’impression d’être le coupable que le
confesseur. Car c’est ce qu’il était, non ? Le confesseur d’Ernesto Perez,
un homme dont la vie n’était qu’une inconcevable succession de cauchemars.
« Je n’en reviens pas, n’arrêtait pas de répéter
Woodroffe. Le meurtre de Jimmy Hoffa doit être l’un des meurtres non élucidés
les plus importants de tous les temps...
— Après celui de Kennedy », observa Ross,
commentaire qui lui valut des regards désapprobateurs de la part de Woodroffe
et Schaeffer.
Hartmann supposait que la théorie officielle en vigueur au
Bureau était que J. Edgar Hoover et la commission Warren avaient eu raison dès
le début. C’était, s’imaginait-il, l’un de ces sujets de conversation qui
n’étaient jamais abordés. Les gens avaient leur opinion, mais ils la gardaient
pour eux et ne la laissaient jamais franchir leurs lèvres.
« Jimmy Hoffa... putain de bordel de Dieu, reprit
Woodroffe. Je m’en souviens. Je me souviens de quand ça s’est passé. Je me
souviens de toutes les spéculations, des comptes rendus dans les journaux, des
théories sur ce qui lui était arrivé.
— Tu devais être adolescent, remarqua Schaeffer.
— Peu importe. Je m’en souviens bien. Et quand j’ai
intégré le Bureau et que j’ai commencé à lire des dossiers liés au crime
organisé, ce nom apparaissait constamment. C’était la grande question...
qu’est-ce qui a bien pu arriver à Jimmy Hoffa ? Je n’en reviens pas que ce
soit Perez qui l’ait tué. Et ce Charles Ducane, le putain de gouverneur de
Louisiane, était au courant... il l’a même sanctionné...
[...]
Hartmann attrapa une autre cigarette. Il était temps de
changer le ton de la conversation avant que Perez ne se mette en colère.
« Je trouve remarquable que vous soyez responsable de la
mort de Jimmy Hoffa.
— Il est mort, il a bien fallu que quelqu’un le tue.
Pourquoi pas moi ?
— Avez-vous aussi tué Kennedy ?
— Lequel ?
— Vous les avez abattus tous les deux ? demanda
Hartmann avec un sourire.
— Ni l’un ni l’autre, même si je pense que je m’en
serais tiré, contrairement à Oswald et Sirhan Sirhan, qui n’y étaient au bout
du compte pour rien, quoi qu’en aient dit J. Edgar Hoover et la commission
Warren. L’assassinat de Kennedy et le mystère qui entoure sa mort depuis
quarante ans doivent constituer le plus spectaculaire et le meilleur exemple de
propagande gouvernementale de tous les temps. Adolf Hitler aurait été fier de
ce qu’a accompli votre gouvernement. N’a-t-il d’ailleurs pas affirmé que plus
le mensonge était énorme, plus on le croyait facilement.
— C’est aussi votre gouvernement, remarqua Hartmann.
— Je suis sélectif... il faut choisir entre la peste et
le choléra. Les États-Unis ou Fidel Castro. J’en suis encore à essayer de
décider auquel des deux je préfère être allié. »
[...]
« La clémence ? demanda Perez. La grâce ? Vous
croyez que c’est ce que je suis venu demander ?
— Non, répondit Hartmann en secouant la tête. Je ne
pense pas.
— Je suis venu ici de mon plein gré. Je me suis rendu à
vous sans résistance. J’aurais pu continuer de vivre ma vie, j’aurais pu ne
rien faire. Si je n’avais pas appelé le FBI, si je n’avais pas parlé à ces
gens, si je ne vous avais pas demandé de venir, alors nous ne serions pas en
train d’avoir cette conversation. J’aurais pu enlever la fille, j’aurais pu la
tuer, et personne ne serait plus avancé.
— Ils vous auraient retrouvé », répliqua Hartmann.
Perez se mit à rire.
« Vous croyez, monsieur Hartmann ? Vous croyez
vraiment qu’ils m’auraient retrouvé ? J’ai bientôt 70 ans. Je fais ça
depuis près de cinq décennies et demie. C’est moi qui ai tué votre Jimmy Hoffa.
Je lui ai passé une corde de piano autour du cou et j’ai tiré si fort que j’ai
senti la corde buter contre ses vertèbres. J’ai fait toutes ces choses, à
travers tout le pays, et ces gens ne connaissaient même pas mon nom. »
Hartmann savait que Perez disait vrai. Il n’avait pas survécu
à cette vie en étant stupide. S’il avait voulu tuer Catherine Ducane, il
l’aurait fait, et Hartmann supposait que le meurtre n’aurait jamais été
élucidé.
In « Vendetta » Roman, de R.J.Ellory
"Avec subtilité et élégance, Ellory livre ici un excellent roman, rusé et
habile, et renouvelle un genre auquel seul Ellroy avait su donner ses
lettres de noblesse."